Le Devoir Éditorial | Sur la question de l’immigration, la stratégie des petits pas
2024/08/24 Leave a comment
Worth reading. Money quote: “Le dossier de l’immigration demande qu’on l’aborde avec franchise, lucidité, bienveillance et mesure. (The immigration file requires that it be approached with frankness, lucidity, benevolence and measure.)”
Lassé peut-être de vociférer son message à Ottawa sans être réellement entendu, le gouvernement du Québec a joint le geste à la parole cette semaine en annonçant deux mesures censées permettre de réduire le flux d’immigration temporaire. Un moratoire de six mois sur le programme des travailleurs étrangers temporaires à bas salaire, dans la région de Montréal ; et un projet de loi destiné à limiter le nombre d’étudiants étrangers par établissement d’enseignement.
Cette stratégie des petits pas ne contribuera pas à faire fléchir de beaucoup les tendances. Mais dans cette joute que se livrent sans résultats Québec et Ottawa sur le dossier migratoire, ce petit geste fait foi de grand symbole.
« Le fédéral ne manque pas une occasion de dire qu’il faudrait que [le Québec] donne l’exemple », a expliqué mardi le premier ministre François Legault, flanqué de sa ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, Christine Fréchette. Québec a donc décidé de donner l’exemple. Responsable de 180 000 des 600 000 immigrants temporaires sis au Québec, le gouvernement de François Legault tente depuis des mois de convaincre Ottawa de l’aider à juguler les entrées, car, selon lui, elles exercent une « pression énorme » sur les services publics, la crise du logement et l’avenir du français à Montréal. Le moratoire et le projet de loi tout juste annoncés constituent l’exemple qu’offre Québec au fédéral, sur qui reposent les 420 000 autres entrées.
Les mesures annoncées ne changeront pas le portrait de manière radicale. Québec concède que le moratoire sur le programme des travailleurs étrangers temporaires à bas salaire (sous la barre des 27,47 $ l’heure) ne viserait, dans la région montréalaise ciblée, que 3500 personnes, sans plus. Quant au projet de loi visant à mieux encadrer l’entrée d’étudiants étrangers dans certains établissements, il cherche à faire diminuer le flot que représentent ces 120 000 étudiants, mais on ne sait pas de combien.
Ce geste symbolique constitue « un premier pas ». Qu’il ait des répercussions mathématiques importantes ou non, il vient confirmer une fois de plus l’encroûtement du dossier de l’immigration dans la joute Québec-Ottawa. Il révèle aussi une certaine mauvaise foi : le Québec a beau plaider aujourd’hui l’urgence nationale et faire porter le poids de plusieurs maux aux nouveaux arrivants, il ne faut pas reculer bien loin dans le temps pour constater qu’il a lui-même contribué au problème, puis a sciemment choisi d’en ignorer les incidences.
Novembre 2021. Le Devoir titre : « Québec veut stimuler l’immigration temporaire ». Sous la plume de notre journaliste spécialisée Sarah R. Champagne, une première phrase qui parle d’elle-même : « Québec presse Ottawa de faire sauter les plafonds de l’immigration temporaire. » Il y a donc moins de trois ans, l’urgence était tout autre : il s’agissait de rehausser les seuils de travailleurs étrangers temporaires dans 71 métiers et professions à bas salaire.
Les temps ont changé. Les chiffres confirment que, de 2021 à 2024, les migrants temporaires sont passés de 300 000 à 600 000. Une « explosion » que le système ne peut prendre en charge, fait valoir le premier ministre. « Ça fait mal à nos services publics [éducation et santé], ça fait mal à notre crise du logement, ça fait mal à l’avenir du français. » Même s’il se veut le plus « factuel » possible, le premier dirigeant du Québec use d’une rhétorique pour le moins glissante en laissant entendre que les engorgements que subit notre système sont le fait des nouveaux arrivants. C’est regrettable. « Je sais qu’il y en a que ça choque quand je dis ça, mais c’est factuel. »
Le gouvernement a raison d’agir pour ne pas aggraver une situation déjà sous haute tension. Il est également en droit de fouetter Ottawa pour obtenir un peu plus de soutien dans ce dossier — la régulation du nombre de demandeurs d’asile et une meilleure répartition de leur entrée sur le territoire canadien, le Québec en accueillant en ce moment plus de la moitié. Mais il est très discutable de tout faire porter sur les épaules du fédéral sans concéder sa propre part de responsabilité.
Où étaient le sentiment d’urgence et la pression intolérable sur les systèmes publics quand, au printemps 2023, en pleine étude des crédits de son propre ministère, la ministre Fréchette a choisi de rejeter la demande de l’opposition d’étendre la réflexion sur l’immigration au Québec aux travailleurs temporaires, aux étudiants étrangers et aux demandeurs d’asile, préférant se restreindre à l’immigration permanente seulement ? Où est la préoccupation pour l’avenir du français à Montréal quand on sait que la demande explose en francisation, signe d’une volonté d’intégration, mais que les budgets et l’offre sont en diminution ? Pourquoi avoir refusé de nommer la crise du logement quand il était encore temps d’agir pour en atténuer les effets ?
Gare aux envolées catastrophistes qui pourraient faire peser (trop) lourd sur les épaules des principaux intéressés. Ceux-ci ne sont coupables de rien d’autre que d’avoir voulu savoir s’il faisait bon vivre au Québec. Le dossier de l’immigration demande qu’on l’aborde avec franchise, lucidité, bienveillance et mesure.
Source: Éditorial | Sur la question de l’immigration, la stratégie des petits pas
Tired perhaps of shouting its message in Ottawa without really being heard, the Quebec government joined the gesture to the floor this week by announcing two measures supposed to reduce the flow of temporary immigration. A six-month moratorium on the low-wage temporary foreign workers program in the Montreal area; and a bill to limit the number of foreign students per educational institution.
This strategy of small steps will not help to bend trends much. But in this joust that Quebec and Ottawa are taking place without results on the migration file, this small gesture is a great symbol.
“The federal government does not miss an opportunity to say that [Quebec] should set an example,” explained Prime Minister François Legault on Tuesday, flanked by his Minister of Immigration, Francisation and Integration, Christine Fréchette. Quebec has therefore decided to set an example. Responsible for 180,000 of the 600,000 temporary immigrants in Quebec, François Legault’s government has been trying for months to convince Ottawa to help it curb entries, because, according to him, they exert “enormous pressure” on public services, the housing crisis and the future of French in Montreal. The moratorium and bill just announced are the example that Quebec offers to the federal government, on which the other 420,000 entries are based.
The measures announced will not radically change the portrait. Quebec concedes that the moratorium on the low-wage temporary foreign workers program (below $27.47 per hour) would target, in the targeted Montreal region, only 3,500 people, no more. As for the bill to better regulate the entry of foreign students into certain institutions, it seeks to reduce the flow represented by these 120,000 students, but it is not known how much.
This symbolic gesture is “a first step”. Whether it has significant mathematical repercussions or not, it confirms once again the encrusting of the immigration file in the Quebec-Ottawa joust. It also reveals a certain bad faith: although Quebec today advocates national urgency and carries the burden of several evils on newcomers, we must not go far back in time to see that it himself contributed to the problem, then knowingly chose to ignore its implications.
November 2021. Le Devoir headlines: “Quebec wants to stimulate temporary immigration”. Under the pen of our specialized journalist Sarah R. Champagne, a first sentence that speaks for itself: “Quebec urges Ottawa to blow up the ceilings of temporary immigration. So less than three years ago, the urgency was quite different: it was a question of raising the thresholds for temporary foreign workers in 71 low-wage trades and professions.
Times have changed. The figures confirm that, from 2021 to 2024, temporary migrants increased from 300,000 to 600,000. An “explosion” that the system cannot support, argues the Prime Minister. “It hurts our public services [education and health], it hurts our housing crisis, it hurts the future of French. Even if he wants to be as “factual” as possible, Quebec’s first leader uses a slippery rhetoric to say the least by suggesting that the congestions that our system undergoes are caused by newcomers. It’s regrettable. “I know it’s shocking when I say that, but it’s factual. ”
The government is right to act so as not to aggravate a situation already under high tension. He is also entitled to whip Ottawa to get a little more support in this file – the regulation of the number of asylum seekers and a better distribution of their entry into Canada, with Quebec currently welcoming more than half. But it is very questionable to put everything on the shoulders of the federal government without conceding its own share of responsibility.
Where was the feeling of urgency and intolerable pressure on public systems when, in the spring of 2023, in the middle of a study of her own ministry’s appropriations, Minister Fréchette chose to reject the opposition’s request to extend the reflection on immigration in Quebec to temporary workers, foreign students and asylum seekers, preferring to restrict herself to permanent immigration only? Where is the concern for the future of French in Montreal when we know that demand is exploding in francization, a sign of a desire for integration, but that budgets and supply are decreasing? Why did you refuse to name the housing crisis when there was still time to act to mitigate its effects?
Beware of catastrophic flights that could weigh (too) heavily on the shoulders of the main interested parties. They are not guilty of anything other than wanting to know if it was good to live in Quebec. The immigration file requires that it be approached with frankness, lucidity, benevolence and measure.
