Le Devoir Éditorial | Une fierté nationale mal placée

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On ne peut pas reprocher à François Legault de manquer de persistance en culture. En dépit des quelques revers qu’il a essuyés en ces matières fortes en symbole, son engagement exalte un attachement inusable. Certains diront un attachement téflon tant il n’en fait qu’à sa tête. On en a eu une nouvelle preuve avec l’annonce en grande pompe de la création d’un nouveau musée national — une rareté qui aurait normalement dû lui valoir des hourras.

L’idée de se doter d’un Musée national de l’histoire du Québec n’est pas mauvaise, au contraire. La nation québécoise — irréductible mais fragile fleur francophone posée au creux d’un massif de vivaces anglophones envahissantes — vaut bien cet hommage que nombre de sociétés se sont offert avant nous. Notre fierté nationale pourrait même gagner gros à étendre ses bourgeons sur un tuteur aussi structurant.

Se doter d’un musée national est en effet une excellente façon d’honorer un legs compliqué, à la fois sombre et lumineux, qu’on a fâcheusement tendance à négliger au Québec. Pour cela, le regard que l’on pose sur notre histoire commune doit être capable d’accueil comme d’autocritique, en plus d’être scientifiquement irréprochable, a mis en garde un contingent de spécialistes déconcertés par ce lapin sorti sans consultation du chapeau de M. Legault.

C’est d’abord là que le bât blesse. Le gouvernement a eu beau s’adjoindre les conseils de l’historien Éric Bédard, cela ne l’a pas empêché de multiplier les bourdes en s’improvisant expert dirigiste là où on l’attendait plutôt en pollinisateur inspirant. Invité à préciser sa vision, le premier ministre a commencé par montrer l’étendue de ses oeillères. Notre histoire nationale, a-t-il expliqué, a commencé, rêvé et prospéré par et pour les Canadiens français. Et les autres ? Tous relégués au rôle ingrat de figurants.

Sa façon spécialement cavalière de minimiser l’apport des nations autochtones à la société québécoise est indigne d’une nation qui prétend parler d’égal à égal avec ces peuples. Quiconque replonge dans l’épopée de Champlain — point zéro du récit national caquiste, on le rappelle — sait pourtant qu’il ne pourra le faire sans s’enfarger dans tout ce que ces nations ont pu apporter aux premiers colons, puis plus largement à la société québécoise au fil du temps. Et pas qu’en adversité, mais aussi bien en émulation qu’en imagination.

Son silence radio sur l’apport des autres communautés — on pense aux vagues migratoires, mais aussi aux Anglos — a fait le reste, nourrissant une déferlante de malaises autant chez les spécialistes que chez nombre de Québécois qui ne se sont pas reconnus dans sa vision rétrécie de la nation. Il est vrai que, jusqu’ici, le discours politique n’a pas été à la hauteur des promesses qui viennent avec l’érection d’un musée national moderne, décomplexé et rassembleur.

Bien sûr, l’histoire n’est jamais neutre. Mais un musée digne de ce nom, même national, ne saurait se résumer à une vitrine politique, encore moins à la vitrine d’une seule vision politique. Les Québécois n’ont pas besoin d’un musée de pureté idéologique. Ce qui n’empêche pas le fait qu’il y a du bon dans le projet du gouvernement Legault. Les Espaces bleus n’avaient pas d’avenir : trop chers et sans vision commune. Le Musée national de l’histoire du Québec, érigé à même leurs cendres malheureuses, ne part pas grevé de la sorte.

D’abord, il plantera ses racines dans un écrin magnifique, le pavillon Camille-Roy du Séminaire de Québec, rénové au coût de 92 millions. Ensuite, il arrive sur un terrain encore fertile, celui des musées d’État. S’il est bien fait, son ajout au noyau formé du Musée d’art contemporain de Montréal, du Musée national des beaux-arts du Québec et du Musée de la civilisation (MCQ) permettra de repenser ce qui lie nos musées nationaux entre eux afin d’en faire un réseau exemplaire dont la solidité, si elle s’avère, percolera jusqu’aux musées régionaux.

Le rêve esquissé par François Legault se frottera bientôt à un réel qu’il a, en vérité, mieux balisé que son annonce mal ficelée. Le MCQ, qui aura la tâche de concevoir les contenus et d’aménager les espaces d’exposition de ce nouveau musée national, a en effet les ressources et le savoir nécessaires pour y arriver. Il pourra au surplus compter sur les lumières d’un comité scientifique, de même que sur celle d’un duo d’éclaireurs formé d’Éric Bédard et de Jenny Thibault, qui veilleront sur les destinées historiques et numériques du nouveau musée.

Espérons seulement que le gouvernement Legault aura l’humilité de s’appuyer sur leur vision commune pour la suite du projet. Car le bon récit national, celui qui a le pouvoir d’élever et de rassembler un peuple derrière lui, peut, oui, devenir un formidable legs, pour peu qu’il ne se conjugue pas qu’au « je ». Conjugué aussi au « nous », son engagement en faveur de notre fierté nationale pourrait même constituer un vigoureux — et redoutable ! — cultivar. S’il est planté dans un sol adéquat, bien sûr.

Source: Éditorial | Une fierté nationale mal placée

Unknown's avatarAbout Andrew
Andrew blogs and tweets public policy issues, particularly the relationship between the political and bureaucratic levels, citizenship and multiculturalism. His latest book, Policy Arrogance or Innocent Bias, recounts his experience as a senior public servant in this area.

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