Thibodeau: L’illusion de l’immigration pour combler la pénurie de main-d’oeuvre

Of note, the limitations of relying on immigration to address labour shortages, given that immigrants themselves add pressure on housing and public services:

En tant qu’économiste, j’ai fait plusieurs études de retombées économiques : l’étude des retombées potentielles du projet Grande Baleine pour Hydro-Québec, celle ex post des retombées de La Grande 1 et 2, celle de la Convention de la Baie James, celle de tous les parcs d’éoliennes installés au Québec depuis 1997 à 2020 pour CANWEA (Canadian Wind Energy Association), etc. En plus, en 2014, la Société d’habitation du Québec (SHQ) m’a mandaté pour faire l’étude des retombées économiques des Offices municipaux d’habitation.

Dans l’ensemble, ces études démontrent qu’en moyenne, selon les secteurs d’activité, le coefficient multiplicateur de création d’emplois indirects (premiers et seconds fournisseurs) et induits sur l’ensemble du Québec calculé à partir de la création d’emplois directs peut varier entre 5 et 10. Ainsi, pour chaque emploi direct créé seront créés entre 5 et 10 emplois indirects et induits.

Il est présentement beaucoup question de pénurie de main-d’oeuvre dans plusieurs secteurs d’activité économiques. Le recrutement d’un nouvel employé peut-il s’assimiler à la création d’un emploi nouveau comme on vient de le voir plus haut ? Pas complètement, la création d’un nouvel emploi par la mise en place d’une nouvelle activité génère des emplois indirects non seulement pour les intrants à la production, mais aussi pour la fabrication des nouveaux équipements requis. Cela n’est pas nécessairement le cas pour un recrutement ayant pour but de pourvoir un poste vacant.

Mais on peut affirmer que le manque de main-d’oeuvre de façon structurelle et importante dans une entreprise oblige celle-ci à produire en deçà de sa capacité réelle. L’arrivée de nouveaux employés pour pourvoir les postes vacants permettra donc d’augmenter la production exigeant un plus grand besoin de matières premières et d’intrants de toutes sortes (emballage, transports, etc. ). Ces nouveaux employés sollicitent et mobilisent donc des employés dans une multitude d’autres entreprises. C’est une nouvelle demande qui génère des besoins de main-d’oeuvre. Est-ce que ce coefficient multiplicateur se situe entre 5 et 10 ou un peu moins ? De prime abord, il est difficile de le dire, mais il existe, sans aucun doute.

Dans ce coefficient multiplicateur, il y a les effets induits. Ceux-ci sont les emplois créés lorsque sont dépensés les salaires générés par ces nouveaux emplois (directs et indirects). Ce type d’effets demeure discutable lorsque les travailleurs qui occupent ces nouveaux emplois vivaient déjà au Québec et donc avaient un salaire (ou d’autres formes de revenu, comme l’assurance-emploi). Dans ce cas, toute l’induction n’est pas attribuable aux nouveaux emplois.

Cela dit, on se rend bien compte que, si on fait appel à l’immigration pour essayer de combler la pénurie de main-d’oeuvre, on tourne en rond tout en aggravant la situation. Chaque emploi pourvu par un nouvel immigrant nécessitera plusieurs autres emplois pour satisfaire son activité et ses besoins vitaux quotidiens (plus de services de garde, plus de soins de santé, plus de commerces de détail, plus de logements). Puisqu’il s’agit de nouvelles personnes (et même de nouvelles familles) sur le sol québécois, les effets induits en matière d’emplois créés par les achats de biens et de services de ces familles doivent être pris en compte en entier.

Ainsi, même en demeurant très prudent, on peut aisément croire qu’un coefficient multiplicateur de 5 (le bas de la fourchette, donc) pourrait être retenu, chaque travailleur immigrant requerrait la création de cinq nouveaux emplois, dont au moins deux ou trois de façon induite. Il est donc clair que, tant que l’on peut recourir à de la main-d’oeuvre déjà sur le territoire du Québec (meilleure formation de la jeune main-d’oeuvre, utilisation plus systématique des personnes âgées, meilleures conditions de travail dans certains secteurs, etc.) et surtout à l’automatisation et à la robotisation des procédés, il sera plus facile de réduire la pénurie de main-d’oeuvre que de recourir à l’immigration.

Favoriser l’augmentation de l’immigration par compassion pour des personnes en difficulté dans d’autres pays ou encore pour compenser notre faible taux de fécondité et le vieillissement de notre population, c’est une chose, mais compter sur l’immigration pour réduire la pénurie de main-d’oeuvre c’est une erreur. La politique de l’Allemagne en matière d’immigration des dernières années est éclairante en cette matière. Après avoir ouvert toutes grandes leurs portes à l’immigration, ses dirigeants se retrouvent en 2023 avec des pénuries importantes de main-d’oeuvre dans des secteurs névralgiques.

On prend conscience actuellement des pressions énormes que l’accroissement des seuils d’immigration créerait sur le logement. Mais ces pressions se feraient sentir dans l’ensemble du système économique, et en particulier sur nos systèmes de santé et d’éducation, déjà débordés.

Il est pour le moins étonnant que les politiques n’aient pas un minimum de connaissance sur les instruments d’analyse économique. Les analyses de retombées économiques sont pourtant très connues (et nécessaires pour presque tous les projets soumis au BAPE). Elles sont rendues possibles grâce à un instrument statistique très sophistiqué géré et mis à jour par l’Institut de la statistique du Québec, le Tableau interindustriel du Québec, qui met en interrelation toutes les activités économiques du Québec.

Source: L’illusion de l’immigration pour combler la pénurie de main-d’oeuvre

Unknown's avatarAbout Andrew
Andrew blogs and tweets public policy issues, particularly the relationship between the political and bureaucratic levels, citizenship and multiculturalism. His latest book, Policy Arrogance or Innocent Bias, recounts his experience as a senior public servant in this area.

Leave a comment

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.