Yakabuski: Cliquer pour devenir Canadien
2023/07/24 Leave a comment
Good column in Le Devoir (only commentary to date in French media that I have seen):
La fête du Canada ne se déroule pas de la même façon partout au pays. À l’extérieur du Québec, dans la plupart des communautés, les cérémonies de prestation du serment de citoyenneté sont organisées dans le cadre des célébrations locales planifiées pour accueillir des immigrants récents dans la grande famille canadienne. Ces cérémonies, remplies d’émotion et de patriotisme, servent à rappeler aux natifs du Canada la chance qu’ils ont d’être nés ici. Certes, des cérémonies de prestation ont aussi lieu au Québec. Mais elles sont rarement aussi médiatisées que dans le reste du Canada, où les journaux et les bulletins de nouvelles télévisés en parlent abondamment.
Beaucoup d’experts en immigration considèrent que la cérémonie de prestation du serment constitue une étape indispensable dans la formation de tout bon citoyen et dans la création, chez ces nouveaux venus, d’un sentiment d’appartenance au Canada. En 2021, le serment a été modifié afin d’inclure une obligation de la part des nouveaux citoyens de reconnaître et de respecter les droits ancestraux issus des traités signés avec les peuples autochtones, en conformité avec l’une des recommandations de la Commission de vérité et réconciliation. « Le serment de citoyenneté du Canada est un engagement envers ce pays — et cela comprend le projet national de réconciliation », avait expliqué le ministre de l’Immigration de l’époque, Marco Mendicino.
Les nouveaux Canadiens doivent aussi jurer d’être fidèles au roi Charles III. Contrairement à l’Australie, qui a modifié son serment de citoyenneté en 1994 pour enlever toute référence à la Couronne britannique, le Canada continue d’exiger que les nouveaux venus promettent d’être loyaux au locataire du palais de Buckingham. En 2015, la Cour suprême du Canada a refusé d’entendre l’appel de trois résidents permanents qui avaient prétendu que l’obligation de prêter serment au monarque violait leurs droits à la liberté d’expression et de religion. Ils avaient été déboutés devant la Cour d’appel de l’Ontario, qui avait déclaré que la référence au monarque était purement « symbolique », celle-ci évoquant notre « forme de gouvernement et le principe non écrit de démocratie » qu’il sous-tend.
Or, voilà qu’Ottawa s’apprête à permettre aux résidents permanents de prêter leur serment de citoyenneté en cliquant simplement sur une case en ligne sur le site Web d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC). Plus besoin de prononcer le serment à voix haute devant un juge. Cliquez ici, et vous deviendrez Canadien.
La proposition, dont on n’a presque pas parlé au Québec, a créé un tollé ailleurs au Canada. « L’idée selon laquelle le Canada, qui est peut-être le pays au monde ayant eu le plus de succès en matière d’immigration, pourrait recourir à un moyen automatisé pour dire “vous êtes maintenant citoyen” est odieuse », a déclaré plus tôt cette année l’ancienne gouverneure générale du Canada Adrienne Clarkson, elle-même arrivée au pays comme réfugiée en 1942. L’ancien maire de Calgary Naheed Nenshi, fils d’immigrants musulmans d’origine tanzanienne, tout comme l’ancien ministre libéral de l’Immigration Sergio Marchi, né en Argentine, ont dénoncé publiquement la démarche d’Ottawa.
Andrew Griffith, un ancien haut fonctionnaire à IRCC, a même lancé une pétition — parrainée par le député conservateur Tom Kmiec, lui-même immigrant polonais — qui somme le gouvernement de Justin Trudeau de « renoncer à permettre l’auto-administration du serment de citoyenneté » ainsi que de « rétablir la primauté des cérémonies en personne et de réduire à 10 % la proportion de cérémonies virtuelles ». Ces dernières ont pris leur envol durant la pandémie. Mais certains experts, comme M. Griffith, croient qu’elles ne devraient se substituer aux cérémonies en personne qu’en cas d’exception.
La continuation postpandémie des cérémonies virtuelles tout comme la proposition de permettre l’auto-administration du serment sont des réponses aux arriérés à IRCC. Le ministère n’arrive plus à traiter les demandes d’immigration et de citoyenneté dans des délais raisonnables. Des résidents permanents approuvés pour devenir citoyens doivent attendre environ 19 mois avant d’être convoqués à une cérémonie de citoyenneté.
Le ministre de l’Immigration, Sean Fraser, vise à réduire l’attente en autorisant l’option de l’auto-administration. Mais M. Griffith se demande si une partie du problème ne découle pas du fait que les seuils d’immigration sont déjà trop élevés pour l’appareil gouvernemental. Plus de 1,2 million de nouveaux résidents permanents sont arrivés depuis trois ans, alors qu’Ottawa cherche à hausser le seuil annuel à 500 000 ou plus dès 2025. Si la plupart de ces nouveaux résidents permanents ont pour objectif de devenir des citoyens canadiens, l’auto-administration du serment deviendra incontournable. IRCC peine déjà à répondre à la demande. Imaginez ce que sera la situation dans cinq ans.
Ce n’est là qu’une des raisons pour lesquelles la politique d’immigration du gouvernement semble déconnectée de la réalité. Dans une étude publiée cette semaine, l’économiste chez Desjardins Randall Bartlett avance qu’il faudra encore plus d’immigrants pour contrer les effets du vieillissement de la population canadienne dans les années à venir. Mais il ajoute un gros bémol. « Comme la croissance démographique continue de faire grimper les prix des maisons et de miner l’abordabilité à court terme, le gouvernement fédéral doit tenir compte de cette situation dans sa politique d’immigration, en particulier en ce qui concerne les résidents non permanents. Sa politique d’immigration doit s’accompagner d’actions immédiates pour augmenter l’offre de logements. » Or, rien n’indique qu’Ottawa s’apprête à agir en ce sens.
Après tout, on ne peut pas construire des maisons en un clic.
Source: Cliquer pour devenir Canadien
