Cornellier: De l’huile sur le feu
2023/09/25 Leave a comment
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Cet été, dans un parc de Joliette, je travaillais mes coups de tennis avec mon lance-balles. Cette machine suscite toujours la curiosité des enfants. Ce soir-là, donc, un enfant de sept-huit ans est entré sur le court pour observer ça et pour m’aider à ramasser mes 75 balles. Nous avons jasé un peu. Il m’a dit s’appeler Mohammed et aller à l’école du quartier. Sa petite soeur est venue se joindre à nous, mais n’a pas pu participer à la conversation puisque, n’ayant pas commencé l’école, elle ne parlait qu’en arabe.
En retournant chez moi, je me disais, rempli d’optimisme, que tout était là : si on veut que l’immigration soit une chance et non une menace pour le Québec, il faut aller à la rencontre des nouveaux arrivants, les accueillir chaleureusement, leur parler, en français, comme à des amis, leur offrir la vie avec nous, qui sommes là depuis un bout, comme une aventure commune. Je n’ai pas peur de Mohammed et de sa petite soeur. Je souhaite, au contraire, les entendre dire « nous autres », en parlant des Québécois, dans dix ans.
Je sais bien qu’on ne fait pas de politique avec de pareils bons sentiments et que l’intégration des nouveaux arrivants ne va pas sans défi. Mon anecdote vise simplement à illustrer que je n’adhère pas à la théorie du « grand remplacement » et que je crois à la possibilité d’une intégration réussie des immigrés, moyennant des compromis de part et d’autre.
Dans Les déclinistes (Écosociété, 2023, 152 pages), l’essayiste Alain Roy, directeur de la revue L’Inconvénient, critique avec sévérité le discours de certains intellectuels opposés à l’immigration, surtout si elle est musulmane. Renaud Camus, Alain Finkielkraut, Éric Zemmour, Mathieu Bock-Côté, Michel Houellebecq et Michel Onfray sont dans sa ligne de mire.
Roy leur reproche de manquer de rigueur intellectuelle, d’ébaucher des scénarios alarmistes au mépris des données statistiques et de n’avoir aucune solution crédible à proposer aux problèmes qu’ils déplorent. Ces essayistes, écrit-il, jettent de l’huile sur le feu en nourrissant l’islamophobie.
Roy vise juste concernant Camus, Zemmour et Houellebecq, quand celui-ci oublie d’être romancier. Voici, en effet, trois trublions prêts à dire n’importe quoi pour se rendre intéressants, même si cela signifie alimenter un climat de guerre civile en France sur le dos des musulmans.
À l’heure actuelle, les immigrés représentent 10,2 % de la population française. Les personnes de culture musulmane représentent environ 8 % de la population. Parmi elles, seulement 25 % affirment être pratiquantes. On est loin du « grand remplacement ».
Au Québec, 3 % des citoyens sont musulmans. Selon le démographe Guillaume Marois (Le Journal de Québec, 4 septembre 2018), si les tendances actuelles en immigration se poursuivent, les musulmans représenteront 14 % de la population en 2061. Dans le scénario improbable où l’immigration de culture musulmane doublerait, les citoyens qui s’identifient à cette confession représenteraient 19 % de la population. Ainsi, Marois conclut que « le Québec n’est pas en voie de devenir une société musulmane », tout en ajoutant qu’il doit demeurer intransigeant envers les manifestations de l’islam politique.
Alain Roy a donc raison de qualifier de délirante la thèse du « grand remplacement ». Ses critiques, cependant, tournent parfois les coins ronds. Roy, par exemple, dit juste en notant que Bock-Côté, qui ne manquera pas de s’en défendre, est plus un polémiste qu’un essayiste, en ce sens que « sa pensée [est] entièrement déterminée par ses prémisses ». Or, c’est aussi le cas de Roy lui-même.
J’en veux pour preuve le traitement qu’il réserve à Finkielkraut. Ce dernier, c’est vrai, a parfois eu des formules malheureuses dans ce débat. Néanmoins, accuser son essai L’identité malheureuse (Stock, 2013) d’islamophobie est injuste. Contrairement à ce qu’affirme Roy, Finkielkraut n’écrit pas que les musulmans sont des « citoyens inassimilables ». Il note que la diversité culturelle se transforme parfois en chocs culturels, mais il ajoute qu’« aucune de ces différences n’est immuable » ou insurmontable. Il souligne, plus loin, que des Français d’adoption, en 1940, ont rejoint le général de Gaulle dans son combat pour la France et cite Lévinas disant que cette dernière « est une nation à laquelle on peut s’attacher par le coeur aussi fortement que par les racines ».
Finkielkraut insiste aussi sur le fait qu’il est « impératif » de ne pas « faire payer tous les musulmans pour le radicalisme islamique ». Avec Claude Lévi-Strauss, il plaide à la fois contre « la tentation ethnocentrique de persécuter les différences » et contre « la tentation pénitentielle de nous déprendre de nous-mêmes pour expier nos fautes ». Ça se défend.
C’est d’ailleurs comme ça, fraternellement, mais sans m’effacer, que je veux accueillir Mohammed.
Essayiste et poète, Louis Cornellier enseigne la littérature au collégial.
Source: De l’huile sur le feu
